Eiben Ileana Neli

Université de l’Ouest de Timişoara

Roumanie

 

L’autotraduction chez les écrivains roumains d’expression française. Repères historiques

 

Dans cette communication, nous nous proposons de voir comment la pratique de l’autotraduction a évolué dans l’espace roumain du début du XIXe siècle jusqu’au début du XXIe siècle. Nous focaliserons notre attention sur les écrivains dont l’œuvre comprend, entre autres, des textes traduits par eux-mêmes du roumain vers le français ou inversement.

En Roumanie, à cause du retard économique des trois principautés (Moldavie, Valachie et Transylvanie), l’histoire de l’autotraduction commence assez tard. C’est à la charnière du XVIIe et du XVIIIe siècle que les premières œuvres autotraduites apparaissent grâce à Dimitrie Cantemir. Au début du XIXe siècle, suite à l’émancipation de l’esprit public, les œuvres autotraduites se multiplient par la contribution de plusieurs écrivains francophones qui ont transposé certaines de leurs œuvres soit du roumain vers le français (Poesii/Brises d’Orient de Dimitrie Bolintineanu) soit du français vers le roumain (Chant de Roumanie/Cântarea României d’Alecu Russo, Le calvaire du feu/Thalassa d’Alexandru Macedonski).

Aux aubes du XXe siècle on fait la connaissance d’une autre figure importante pour notre approche. Il s’agit du romancier Panait Istrati qui, après avoir publié ses livres en français, leur a donné aussi une version roumaine (Kyra Kyralina/Chira Chiralina, Oncle Anghel/Moş Anghel etc.).

Au XXe siècle, l’arrivée au pouvoir des communistes a déterminé nombreux intellectuels roumains à se réfugier en Occident. Parmi ceux qui ont choisi domicile en France on peut mentionner : Eugen Ionescu, Emil Cioran, Gherasim Luca, Virgil Ierunca, mais on constate que la plupart d’entre eux ont abandonné la langue roumaine pour poursuivre leur l’activité littéraire en français. Les intellectuels qui sont restés en Roumanie ont aussi adopté le français comme langue d’écriture et, en traduisant par la suite leurs textes en roumain, ils en ont publié des versions (auto)censurées. C’est, par exemple, le cas de Paul Miclău dont le journal intime Les disloqués/Comoara a connu plusieurs versions en roumain et en français.

Après 1989, quand le retour dans le pays natal devient possible, certains écrivains exilés profitent pour y faire paraître et connaître leurs textes écrits précédemment en français. Dumitru Tsepeneag traduit en roumain Pigeon vole/Porumbelul zboară…, Roman de gare/Roman de citit în tren, et Virgil Tănase publie Beatrix, Macferlone, Isabela dans les pages de la revue Dialogues francophones. De même, profitant de l’ouverture des frontières, plusieurs auteurs émigrent au Québec et y exportent des livres qu’ils avaient écrits en roumain. Felicia Mihali publie à Montréal Le Pays du fromage et Luc, le chinois et moi, versions françaises des textes roumains Ţara brînzei et Eu, Luca şi chinezul alors que Terre salée, traduction française du roman Sânge amestecat d’Irina Egli, paraît à la maison d’édition Boréal.

L’observation du phénomène de l’autotraduction en diachronie relève le fait que sa pratique a suivi les méandres de l’évolution des événements historiques, de l’évolution de la langue et de la littérature roumaines. Peu représentée avant le XIXe siècle, elle a pris de l’essor au XXe et au XXIe siècles par la plume des écrivains roumains qui y ont fait appel pour exporter/ importer du capital littéraire